Théophile Gautier – Poésies libertines (Extraits)

Solitude (Gautier)

Je bande trop dans ma culotte
Je sors mon vit qui décalotte
Son champignon.
Être à midi, seul dans ma chambre,
En tête à tête avec son membre,
C’est du guignon !

Mon jacquemart me bat le ventre ;
Dans quelque chose il faut que j’entre,
Cul, bouche ou con.
Mais je ne vois pas ma voisine
Lançant son œillade assassine
De son balcon.

En vain Coco dresse sa huppe :
Dans la maison pas une jupe,
Pas un bonnet.
La pine au poing, pose équivoque,
À défaut de con, je t’invoque,
Veuve Poignet.

Grande Vénus masturbatrice,
Solitaire consolatrice
Des amoureux,
Puisque je manque de maîtresse
Accorde au moins à ma détresse
Tes plaisirs creux.

Prête-moi cette main adroite
Qui sait, d’une caresse étroite,
Saisir l’engin,
Et fait jouer la pompe à sperme
Entre ses doigts qu’elle referme
Comme un vagin.

Enseigne-moi, j’y suis novice,
Ce jeu que Tissot nomme vice,
Ce jeu caché
Que Cupidon enfant pratique,
Épointant sa flèche érotique
Loin de Psyché.

Les pieds appuyés au chambanle,
Lentement d’abord je me branle,
Et puis presto :
Je développe mon extase,
Ponçant mon pilier de la base
Au chapiteau.

Mais la Chimère ouvre la porte.
Une femme entre, à gorge forte,
À reins puissants,
Qui retroussant chemise et cotte
Met sous mon nez sa grosse motte
Aux crins frisants ;

Puis souriante se retourne,
Et ne sachant par où j’enfourne
M’offre son cu.
Rubens, il faut que tu confesses
Par la ronde ampleur de ces fesses
Ton air vaincu !

Mais je l’empoigne par les hanches,
Et j’écarte ses cuisses blanches
De mon genou ;
Déjà ma pine triomphnte
De l’abricot forçant la fente
Y fait son trou.

Serrant le cul, haussant la croupe,
Les pieds en l’air comme en un groupe
De Clodion,
Elle absorbe toute ma pine
Et retrouve de Messaline
Le tordion.

Un flot de liqueur prostatique,
Du temple mouillant le portique,
Écume au bord ;
Sous le choc du vit qui la pousse
Elle crie à chaque secousse :
Oh ! va plus fort.

Les yeux noyés, de plaisir pâle,
Jusqu’à la garde elle s’empale,
Comme autrefois
Du dieu Priape au fond d’un antre
Les filles s’enfonçaient au ventre
L’outil de bois.

Je la transperce d’outre en outre.
Le spasme arrive : un jet de foutre,
Un jet brûlant,
Parcourt mon dard comme une lave,
Jaillit, retombe, et de sa bave
Poisse mon gland.

Quand j’ai bien égoutté mon tube,
Je vois s’envoler le succube
Aux beaux seins nus,
Je deviens flasque, je débande,
Et je regrette mon offrande,
Fausse Vénus.

Sur mes doigts en nappe s’épanche,
Déjà froide, la liqueur blanche ;
Tout est fini,
Et j’offre pour ton microscope
Le résultat de ma syncope,
Spallanzani !

Bonheur parfait
Que les chiens sont heureux !
Dans leur humeur badine
Ils se sucent la pine,
Ils s’enculent entr’eux ;
Que les chiens sont heureux !

Concordances

Dieu fit le con, ogive énorme,
Pour les chrétiens,
Et le cul, plein-cintre difforme,
Pour les païens ;
Pour les sétons et les cautères
Il fit les poix,
Et pour les pines solitaires
Il fit les doigts.

À la Présidente
Devant toi l’Éléphant dressant en l’air sa trompe
De son phallus géant décalotte la peau ;
Le régiment qui passe agite son drapeau
Et le foutre jaillit comme par une pompe.

Tu n’as qu’à faire voir pour qu’un saint se corrompe
Ta gorge étincelante où tremble un oripeau ;
Des cardinaux romains sous son rouge chapeau
Le vit pontifical se raidit tant qu’il rompe.

Les nymphes de Rubens remuant le jambon
Livrent des reins moins blancs au flot qui les emperle
Que toi lorsque ton bain sur ton beau corps déferle.

Ton regard dans les cœurs tombe comme un charbon.
Près de toi je vivrais au fond d’une masure :
Il n’est pas de taudis que ton amour n’azure.

La Mort, l’apparition et les obsèques du capitaine Morpion
I
Cent mille poux de forte taille
Sur la motte ont livré bataille
À nombre égal de morpions
Portant écus et morions.
Transpercé, malgré sa cuirasse
Faite d’une écaille de crasse,
Le capitaine Morpion
Est tombé mort au bord du con.
En vain la foule désolée,
Pour lui dresser un mausolée,
Pendant huit jours chercha son corps…
L’abîme ne rend pas les morts !
II
Un soir, au bord de la ravine,
Ruisselant de foutre et d’urine,
On vit un fantôme tout nu
À cheval sur un poil de cu.
C’était l’ombre du capitaine,
Dont la carcasse de vers pleine,
Par défaut d’inhumation,
Sentait la marolle et l’arpion.
Devant cette ombre qui murmure,
Triste, faute de sépulture,
Tous les morpions font serment
De lui dresser un monument.
III
On l’a recouvert d’une toile
Où de l’honneur brille l’étoile,
Comme au convoi d’un général
Ou d’un garde national.
Son cheval à pied l’accompagne
Quatre morpions grands d’Espagne,
La larme à l’œil, l’écharpe au bras,
Tiennent les quatre coins du drap.
On lui bâtit un cénotaphe
Où l’on grava cette épitaphe
« Ci-gît un morpion de cœur,
Mort vaillamment au champ d’honneur. »
Cette poésie héroïque se chante sur la musique d’une marche funèbre composée par M. Reyer pour le convoi du maréchal Gérard.

Femme du monde

Cette femme du monde,
Pâle et blonde,
Qu’on voit d’un pas pressé,
L’œil baissé,
Filer sous les grands arbres
Loin des marbres,
Héros, Amours, Bergers,
Trop légers,
S’en va vers un coin sombre
Voilé d’ombre,
Derrière les massifs
De vieux ifs.
Sans manteau qui la drape
Un Priape
Lascif dresse en ce lieu
Son long pieu,
Que couronne d’acanthe
La bacchante.
Par delà le nombril
Son outil
Lui monte jusqu’au buste,
Gros, robuste,
Par le chaud, par le froid,
Toujours droit.
Sous l’acier qui paillette
Sa voilette,
Le cachemire long
Au talon,
Cette sainte Nitouche
Qu’effarouche
Le moindre mot plaisant
Non décent,
Chaque soir rend hommage
À l’image
Que le gamin impur
Trace au mur.
Sur le dieu de Lampsaque
Elle braque
Son lorgnon et ses yeux
Curieux,
Et d’un regard de chatte
Délicate
Croque comme un oiseau
Ce morceau.
Foin de ces dieux superbes,
Mais imberbes,
Qui vous montrent un nu
Si menu.
La plus chaste matrone,
Dit Pétrone,
Toujours volontirs vit
Un gros vit !