d’Eaux si l’aimant…
« L’eau a rêvé de toi, soleil, en ton absence » Eugène Guillevic
Je cours depuis quelques minutes, maintenant, dans le petit matin, un reste de fraîcheur descendue des étoiles, monte des herbes, se transfuse à mes jambes, perle à mon bassin. Je t’entends déjà, parler à mes os, un sourire pointe à la commissure de mes lèvres, c’est bon, beau , âpre, tu restes quoiqu’il se façonne de nos silences conjugués, la marque de fabrique de ma nouvelle vie…
Je cours, depuis mille ans et rien ni de l’Antiquité, du haut et bas Moyen-âge, de la Renaissance à l’ère industrielle n’a effacé le poids d’où l’heureux de ton nom au grain de ma peau, je cours ce matin presque en riant, les bras éloignés de mon épi-centre, effleurant les herbes piquantes de garrigue, doigts grands ouverts, narines frémissantes du suc des lavandes papillons, yeux embués par une petite moue triomphante vers ce que je sais du bonheur simple et terrien de nous.
Je cours, depuis une bonne heure à présent, dans ce temps que je ne compte jamais pourtant depuis que tant tu t’en fais le scribe, mon Rayénari, dans ce monde d’Âme-Our où rien ne s’énumère, ne s’égrène, ne tombe goutte à goutte, où tout est à foison, l’espace comme sa durée, une mer, un océan, la grande et ses petites histoires, un grain de sable qui contient tout, l’univers sans fin, éternité s’en allant toujours devant.
Je cours avec une ferveur toute religieuse, celle de l’amour inconditionnel qui me grimpe au cœur quand je te porte et te balance au grès de ma foulée légère, dans l’abstinence choisie et confiante de ma chair profonde à la tienne qui se moule en prières ardentes au confessionnal de nos attentes ; se sauvegarder neuve, forte, pure, intense, à cet instant qui viendra, certain, prédestiné, un jour ou bien une nuit, où ta main prolongera de son psaume incandescent la liturgie de la mienne.
Je cours avec l’ardeur de ton soleil levant à mon dos et je me sens vivante au creux de ta pensée qui, comme une gangue de chair, de sang, de muscles, de désirs et d’envies, me lace toute de ses rayons d’allégresse et de caresses.
Tout près, de plus en plus près, là, dans des chassés-croisés de grands reptiles que je surprends dans leur début de journée, l’eau tranqu’île à mon regard qui miroite de lumière vermeille, merveille, dans l’écrin des herbes jaunies , écriées en pointes vers le ciel bleu indigo, m’appelle, m’inter-pêle-mêle cette envie sourde, une source venue du sol noir, moi nue, serpentine, fluide, protéiformes, tout contre toi, ta joie de nos peaux s’y aimant tant dans son antre liquide.
C’est avec un sourire tout en dents, un gloussement de rire éhonté à la face du jour bleu se réfléchissant dans sa sœur , l’onde de la terre au ciel, que j’arrache presque la fragile armure en tissus de mon corps, la projetant par terre. Éclabousser le monde de ma joie de Toi… Je n’ai pas regardé un instant si les autres étaient peut-être là, si les autres comme moi couraient sur les berges, si les autres nageaient nus ou pas, ici, si les autres faisaient sans doute l’amour pas très loin, embusqués derrière la petite illusion de protection des arbres gardiens. J’ai plongé tout droit dans l’épaisseur verte et dorée de l’eau.
Elle me subterfuge, au gré, au courant, au centre de toi, où elle est, j’y trouve nos refuges, je m’y peau l’eau tonne à l’éclair sur tes crêtes et tes arêtes, de grands courants d’orages me fustigent et cinglent les jambes, la tendreté de l’intérieur de mes cuisses. Je veux m’ouvrir démesurément à tous tes doigts d’eau en étreinte. Elle me ceint l’airain que je me figure si fort de toi, me fait pan t’elle hantée de nos brasses coulées jumelées, en presque doux heures maintenant, en mi-ailée, jaunie à la main ondulante du soleil au zénith par dessus son fluide. J’ai ce mal impatient de la dureté de toi, martelant le velouté de mon centre, la marée qui suinte jusque entre mes genoux, je cherche, du regard, embrumée de désirs, un rocher plane pour y allonger mon ventre. Tout en moi, là, vaut s’y faire, mes os s’y ferrent, et les eaux si fières aimantes les pointes de mes seins, douces douleurs et tremblements, je les vois à ta langue, tirées par tes dents, je gémis en reprenant un peu pied sur la berge.
Mes doigts se crochètent sans tarder à la moiteur de mon désir de toi au moindre replat de roche, où je me suis étendue, les fesses à l’air, le reste immergé et je me fourbis, haletante, la joue rosie, frottée d’eau forte , les reins cambrés, ma main entre, sort de nos bassins qui se frappent, la cadence, le rythme fou, le mors au dent , de l’amour, le goût de ton sexe, dans le sang mordu de ma langue, et je monte, je monte, vers un point fixe, que je surveille, hagarde, du coin de l’œil, c’est une étoile mouillée, elle vibre sur la note chantée du plaisir, mes entrailles qui se tordent déjà sous les coups portés par ma main, elle glisse, un poisson carnivore qui me détruit en milliers d’atomes jouissants, rouge est sa couleur, je monte encore, désolée, mon amour, je voudrais te crier, ta poigne dans mes cheveux, me balance, avant, arrière, devant, derrière, plus fort, encore, encore plus fort, j’arrive, je viens, désolée mon amour, je ne peux pas t’attendre, je jouis, je jouis, tu me fais jouir, le clapot furieux de nos jus claqués à tours de reins, grimpe, hisse, je touche de ma langue pointée entre mes canines ses cornes d’abondance, j’explose, je te sens m’emplir , m’inonder, me ravager jusqu’à la moëlle, me tressauter sur le fer blanc de notre plaisir qui fuse de l’arc bandé à craquer de ton ventre et flèche , harponne ma matrice. Elle est venue de si loin au travers des racines, une telle vigueur , qu’elle a pris aux souterrains, pour me fendre en morceaux , me tremper jusqu’aux os, me farcir de ton lait, de ta semence … Je veux la boire, la faire entrer par en haut, en bas, la secouer, l’ébrouer toutes en jets à l’intérieur de moi, je suce mes doigts, sirote la confession repue du plaisir, à ma lèvre, lentement, doucement. Déjà, les frissons du flambeau aigu de mon stupre amoureux prend gentiment le large. Je les écoute tendrement partir, la tête à moitié retombée dans l’eau, les papillons divagants dans les yeux. Je me glisse, délassée, laissée revenue à la dérive de cette rivière, me loger en étoile dans l’oeil du diable. Il fait presque froid tout à coup, dans ce trou d’eau des Corbières, je viens de te sentir repartir sur le vif d’un encore Nous rien que Nous deux là, dans l’eau portante, dans l’Ô gisante hors de son milieu, je te regarde t’éloigner si vite déjà…
Mon aimé, il n’y a aucun mot qui existe sur cette terre pour te dire combien tu me manques et ce sont les seuls mots que je ne souhaiterai jamais inventer.
Je t’aime, mon amour.
Ta Delphine